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Coquelicot
Pissenlit

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Textes

Geneviève Dardel
Le langage des simples

Ah ! comme il aurait pu être poétique, le « Congrès des Simples ». Des religieuses aux cornettes blanches, palpitantes comme l'aile des colombes ; des religieux aux pas glissants ; des infirmières aux doigts légers ; des «sorciers» aux regards magnétiques auraient dû le présider. Mais dans le monde où nous vivons, les chiffres barbares, les chiffres inexorables sont seuls éloquents et je sacrifierai d'abord à la statistique. Nos exportations de plantes médicinales s'élèvent à 20 millions de francs; nos importations atteignent 42 millions Nous achetons, à l'Allemagne, des quantités de tilleul que nous payons au détail 60 francs le kilo. Et ceux de l’Île-de-France, direz-vous ? Des lois sociales en interdisent pratiquement la cueillette et il s'en perd pour plus de 50.000 francs.

Ce congrès nous donna bien d'autres précisions, plus navrantes tes unes que les autres : fermons les yeux sur ce triste chapitre et prêtons l'oreille au langage des simples. Soyez frelons, Messieurs, et nous, Mesdames, soyons abeilles pour butiner à notre aise les tilleuls de chez nous ! Leur parfum sucré se répand dans l'air chaud et, s'il nous grise un peu, il apaise les nerfs malades.

...Du champ de blé, à ce petit jardin où juillet les fait éclore, la rose, le bluet et le plantain se disputent le soin de calmer les brûlures de beaux yeux trop fragiles.

— Moi, je suis bien délaissée se plaint la mélisse ! Où êtes-vous, Carmélites d'antan ? Il est vrai qu'aujourd'hui, les femmes n'ont guère le loisir de tomber en pâmoison.

— Ne gémis pas, repartit l’ipéca : on m’oublie depuis Molière, ou peu s’en faut. La rhubarbe et le séné — ces proches parents qu'impunément on échange — opinent du bonnet. Pauvres purgatifs vilipendés par nos médecins modernes  !

Là-bas, au fond de la prairie, les pissenlits hochent là tête ; ils agissent sur le foie, en attendant d'être mangés par la racine.

— La bile, c'est aussi mon rayon, et je suis moins amère, proclame la verveine. Les anciens n'étaient pas sots en attribuant des pouvoirs merveilleux à l'herbe sacrée que je suis.

— Que tu étais, riposte l'ortie aux propriétés vésicantes.

S'étant rencontrées par hasard, au chevet d'un grippé, les « quatre-fleurs » s'avisent qu'elles sont « sept » pour adoucir la gorge de l'humanité souffrante. Trois d'entre elles sont passées sous silence : il s'agit de savoir lesquelles, et pourquoi ? Pied-de-chat, bouillon-blanc, mauve, guimauve, coquelicot, tussilage, violette se regardent sans aménité.

— Sans moi, vous n’existeriez pas, tranche le coquelicot.

— Lorsque l'on a, dans sa famille, un fabricant d'opium il est sage de rester dans l'ombre, susurre le pied-de-chat. Au souvenir du pavot, l'interpellé rougit de honte : érythème pudique. La discussion s'envenime mais, secondée par tes graines de minettes — cataplasme émollient — fleur d’oranger, la sédative, rétablit la paix !

Puis, la menthe antispasmodique court vers la sensitive qui s'évanouit, toutes feuilles repliées : elle n'a jamais pu supporter les « scènes ». Se rappelant qu'elle fut tonique, sous le nom d'herba medicinalis, la luzerne vient à son aide, accompagnée du romarin.

Une senteur pénétrante passe dans une bouffée de vent : on l'attendait ; on lui fait fête : c'est le thym. Il guérit tout : le catarrhe chronique de bonne maman ; le lumbago de grand-père ; les rhumatismes de tante Gertrude ; le lymphatisme de l'adolescent ; la goutte du vieil oncle qui rend un touchant hommage aux bons vins de France... Il est souverain contre la coqueluche de Bébé ; la toux convulsive du nouveau-né. Il embaume les sauces de Julie, enfin — dois-je vous l'avouer ? — il aromatise le bain de la jolie Mme Z.., au corps de nymphe.

Mi-figue mi-raisin, la douce-amère demande « Comment peut-on soulager tous ces maux sans être charlatan ?» Esculape ordonne, mais la nature choisit, répond serpolet : et toutes les plantes acquiescèrent !

Geneviève DARDEL

Journal des débats politiques et littéraires, 20 octobre 1937


Les Simples était le nom donné au Moyen Âge aux plantes médicinales.

Geneviève Dardel (1904-1977) ne fait pas partie de la même branche que moi de la famille Dardel.

Blason
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