Ce congrès nous donna bien d'autres précisions, plus navrantes tes unes que les autres : fermons les yeux sur ce triste chapitre et prêtons l'oreille au langage des simples. Soyez frelons, Messieurs, et nous, Mesdames, soyons abeilles pour butiner à notre aise les tilleuls de chez nous ! Leur parfum sucré se répand dans l'air chaud et, s'il nous grise un peu, il apaise les nerfs malades.
...Du champ de blé, à ce petit jardin où juillet les fait éclore, la rose, le bluet et le plantain se disputent le soin de calmer les brûlures de beaux yeux trop fragiles.
— Moi, je suis bien délaissée se plaint la mélisse ! Où êtes-vous, Carmélites d'antan ? Il est vrai qu'aujourd'hui, les femmes n'ont guère le loisir de tomber en pâmoison.
— Ne gémis pas, repartit l’ipéca : on m’oublie depuis Molière, ou peu s’en faut. La rhubarbe et le séné — ces proches parents qu'impunément on échange — opinent du bonnet. Pauvres purgatifs vilipendés par nos médecins modernes !
Là-bas, au fond de la prairie, les pissenlits hochent là tête ; ils agissent sur le foie, en attendant d'être mangés par la racine.
— La bile, c'est aussi mon rayon, et je suis moins amère, proclame la verveine. Les anciens n'étaient pas sots en attribuant des pouvoirs merveilleux à l'herbe sacrée que je suis.
— Que tu étais, riposte l'ortie aux propriétés vésicantes.
S'étant rencontrées par hasard, au chevet d'un grippé, les « quatre-fleurs » s'avisent qu'elles sont « sept » pour adoucir la gorge de l'humanité souffrante. Trois d'entre elles sont passées sous silence : il s'agit de savoir lesquelles, et pourquoi ? Pied-de-chat, bouillon-blanc, mauve, guimauve, coquelicot, tussilage, violette se regardent sans aménité.
— Sans moi, vous n’existeriez pas, tranche le coquelicot.
— Lorsque l'on a, dans sa famille, un fabricant d'opium il est sage de rester dans l'ombre, susurre le pied-de-chat. Au souvenir du pavot, l'interpellé rougit de honte : érythème pudique. La discussion s'envenime mais, secondée par tes graines de minettes — cataplasme émollient — fleur d’oranger, la sédative, rétablit la paix !
Puis, la menthe antispasmodique court vers la sensitive qui s'évanouit, toutes feuilles repliées : elle n'a jamais pu supporter les « scènes ». Se rappelant qu'elle fut tonique, sous le nom d'herba medicinalis, la luzerne vient à son aide, accompagnée du romarin.
Une senteur pénétrante passe dans une bouffée de vent : on l'attendait ; on lui fait fête : c'est le thym. Il guérit tout : le catarrhe chronique de bonne maman ; le lumbago de grand-père ; les rhumatismes de tante Gertrude ; le lymphatisme de l'adolescent ; la goutte du vieil oncle qui rend un touchant hommage aux bons vins de France... Il est souverain contre la coqueluche de Bébé ; la toux convulsive du nouveau-né. Il embaume les sauces de Julie, enfin — dois-je vous l'avouer ? — il aromatise le bain de la jolie Mme Z.., au corps de nymphe.
Mi-figue mi-raisin, la douce-amère demande « Comment peut-on soulager tous ces maux sans être charlatan ?» Esculape ordonne, mais la nature choisit, répond serpolet : et toutes les plantes acquiescèrent !
Journal des débats politiques et littéraires, 20 octobre 1937
Les Simples était le nom donné au Moyen Âge aux plantes médicinales.
Geneviève Dardel (1904-1977) ne fait pas partie de la même branche que moi de la famille Dardel.