8 décembre 1927
On nous écrit :
La presse politique de toute la Suisse a retracé la carrière et rendu hommage aux grandes qualités de M. le conseiller national Otto de Dardel. Le "Nouvelliste" a dit qu'il était un fervent ami de notre canton dont il était citoyen adoptif, puisqu'il était bourgeois d'honneur de la commune de Nendaz. Mais bien peu de choses ont été dites de ce que fut M. de Dardel en dehors de son rôle journalistique et politique. Et tout un côté de cette vie mérite d'être relevé, qui est encore le plus beau. Sa famille, il y a bien longtemps, a élu demeure au Val de Nendaz, en un coin idyllique et tranquille, non loin de Haute-Nendaz. Il faut croire qu'elle a eu bon goût puisque trois quarts de siècles plus tard, toute cette région devient d'année en année plus courue des étrangers comme centre de villégiature.
Dans son petit domaine, M. Otto de Dardel revenait chaque été, fidèle, à l'ombre des bouleaux, des frênes et des mélèzes. Il tenait à la compagnie de ces derniers, puisqu'il achète un jour, pour le conserver, tout un bosquet avoisinant, que le propriétaire voulait livrer au commerce. Amant de la nature, il allait chaque soir en promenade sur le chemin des mayens, encadré de sa famille, Mme de Dardel et ses jeunes filles avec le seyant costume de la vallée qui les faisait ravissantes, et qu'elles avaient adopté, - et les jeunes gens à l'allure déjà sérieuse à l'âge turbulent des études.
Que voilà bien une famille modèle, d'une politesse exquise, saluant chapeau bas et avec un respect non affecté les paysans hâlés et courageux qui peinent durement tous les jours. Son visage resté jeune sous les cheveux de neige, Otto de Dardel inspirait une vive sympathie en pays de Nendaz. Je crois bien que le fonds même de son caractère était la bonté, mais une bonté pénétrante et communicative, se traduisant par tous ses gestes et toutes ses paroles.
Qui dira tous ses actes de bienfaisance, et qui les saura jamais ? De très nombreux cas isolés, appris au hasard des conversations, il est permis d'estimer longue la liste des discrètes charités dont le disparu était l'auteur. De préférence, ce sont de vieilles femmes indigentes, veuves ou abandonnées, ou ce sont des familles nombreuses et nécessiteuses qui reçoivent des secours opportuns.
Si la bourgeoisie d'honneur ne lui eût été conférée depuis longtemps, elle eût été une fois de plus gagnée par le dévouement sans bornes déployé dans la vallée de Nendaz lors de la grippe de 1918 par toute la famille de Dardel, bien spécialement par Mlle Dr de Dardel[1]. Si aucune réclame n'a été faite autour de ces actions généreuses, ceux qui en ont été l'objet en gardent pieusement le souvenir. Et bien des prières seront montées pour l'âme de ce grand croyant, à la nouvelle de sa disparition.
Issu de famille aristocratique, passionnément libéral et patriote, chevaleresque et noble dans ses manières, il aimait bien sincèrement les petits et les humbles, au point d'appeler à l'honneur les soldats avant les officiers, - comme cela s'est vu lors de la distribution des souvenirs aux mobilisés de la commune de St-Blaise.
De pareils caractères se font de plus en plus rares et il valait, n'est-ce pas, d'accorder un moment à notre bourgeois d'honneur.
C. M.
Le Nouvelliste Valaisan, jeudi 8 décembre 1927, p.2
[1] Il s'agit de Maria de Dardel, l'une des première femmes médecins de Suisse, qui épousera en 1920 le Dr Ernest Gueissaz.
Voir aussi :
Otto de Dardel par son fils Étienne
Remarques politiques 1918-1919
Fiche généalogique d'Otto de Dardel