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Bal nègre

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Mise à jour
28 Jun 2023

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Une revue nègre ?
Le Gaulois, 6 octobre 1925
Oui, jouée, chantée, dansée par des nègres, des négresses, des mulâtres et des mulâtresses. Vous n'y pourriez pas rencontrer plus de scènes d'actualité que dans nos revues... blanches, mais vous trouverez dans tons ces mouvements, fort bien réglés du reste, un mouvement endiablé, une trépidation qui agit sur les yeux, sur les sens, sur les oreilles même du spectateur. Voulez-vous en avoir one idée exacte ? Figurez-vous qu’une exposition de tableaux cubistes ou qu'une de ces affiches ultra-modernes qui actuellement parent nos murailles soient subitement douées de la vie; et cette vie, cette animation grandissent, s’exaspèrent; le bruit se greffe sur cette façon de trémolo du geste, il monte, glapit, tonitrue. Une Babel de couleurs et une Babel de sonorité dans des secousses sismiques, voilà la revue nègre. C’est évidemment une tout autre conception que la nôtre dont le but est de charmer par des harmonies de tonalités, par des poses eurythmiques, par des caresses de sensations auditives.

Mais il y a les danses ; elles participent de cette folie du mouvement dont je viens de signaler le caractère spécial : c’est un shimmy épileptique où les bras, les jambes, les muscles, tout s’agite sans jamais perdre la notion de la mesure : cet art se recommande à la fois de la chorégraphie et de la gymnastique. L’étoile de la troupe, Joséphine Baker, est d’un comique achevé; à ses déhanchements, à ses contorsions, à son cou qui avance plaisamment comme celui d’une autruche (Maurice Chevalier s'est fait une spécialité de ce geste), elle arrive à donner une grâce grimaçante qui s’impose par la bizarrerie d’un style, évidemment nouveau pour nous. Si Joséphine Baker est une comique de premier ordre, jolie et, cocasse ; le nègre Louis Douglas est un danseur excentrique qui se trémousse, gigote, chancelle convulsivement avec une virtuosité qui rappelle le clapotis de l’eau ; le ballotement incessant de ses pieds donne le mal de mer.

Les ensembles aident tous à ce frémissement, qu'ils aient pour cadre le pont d'un steamer sur les flots du Mississipi, un camp dans une plaine de la Louisiane on un cabaret au milieu d'une forêt de palmiers.

Le jazz-band est l'âme... chantante de ce spectacle, avec sept musiciens dont quelques-uns jouent de plusieurs instruments. Cet orchestre adoucit ou enfle sa voix selon les situations chorégraphiques ; il devient langoureux, burlesque, il trouve des intonations drôles, des borborygmes dune douceur rêveuse, il parvient même à la parodie de la conversation humaine ; il pleure des «spirituals», il fait cahoter des rag-times.

Tout ce spectacle est curieux, échevelé, sauvage... A la sortie du théâtre, le bruit des automobiles qui cornaient, des autobus qui grinçaient et crissaient, l’agitation des spectateurs à la recherche d’un véhicule, les ordres secs des agents chargés de régler la circulation, les appels des chauffeurs, toute cette fièvre parisienne se fondait en je ne sais quoi de langoureux et de caressant dans mon cerveau halluciné par cette revue nègre — tout n'est que contraste !

J’allais en oublier Saint-Granier qui dans son tour de chant a obtenu un gros succès, dû à l’esprit gracieux de ses chansons et à la façon exquise dont il les dit ; j’en oubliais aussi une excellente troupe de gymnasiarques, les Allison, dans leurs jeux icariens, et même I'Hercule Louis Vallier qui porte deux hommes à bras tendus et en fait pivoter six, soit cinq cent cinquante kilogrammes en une espèce de char tournant sur son crâne — travail de tête.

Le Gaulois, 6 octobre 1925


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